Depuis quelques années ma passion pour la gastronomie n’a fait que grandir. Je fréquente avec une certaine régularité les restaurants de notre belle Wallonie, et quand je ne vais pas me faire servir j’adore passer un temps inimaginable dans ma propre cuisine pour créer toujours plus de nouveaux plats. Cette vie qui se calque autour de la Cuisine engendre aussi son lot de questions et de réflexions. Dont celles sur la viabilité écologique de la gastronomie, de notre rôle en tant que cuisinier amateur ou Chef primé envers la planète. Est-il possible d’avoir une Cuisine durable? d’être innovant, qualitatif et créatif en étant économe avec notre planète ? De se faire plaisir sans détruire?
De la recette au produit
Des salles étoilées jusqu’à sa propre cuisine, il me semble noter une grande évolution ces dernières années : Enfin on cherche à connaître le produit. Du chantre du classicisme Karen Torosyan qui nous parle du cochon basque « de Pierre Oteiza » à l’étal du Carrouf qui nous vend la côte à l’os de Raymond Duvaux, éleveur local, une partie pas si congrue de ce que nous achetons et mangeons a dorénavant un nom, une histoire, est mis en avant. Le bœuf Wellington en deviendrait même incongru sans que l’on ne connaisse la race et l’éleveur de l’animal, le radis lui devient affublé du nom de son maraîcher comme s’il en était la progéniture en ligne directe.
La conscience locale
Une véritable prise de conscience collective de la nécessité du local a suivi celle de l’origine des produits. Après l’avènement du bio à tout crin, repris jusqu’à la nausée par les grandes surfaces qui refourguent des camions de tomates aux origines aussi douteuses que leurs qualités gustatives et environnementales, les citoyens ont voulu finir le travail de réappropriation, par une reconnexion avec le producteur. Il suffit de voir l’explosion du nombre de petits maraîchers dans nos campagnes pour nous rendre compte de l’engouement populaire.
Cet attrait doit néanmoins passer la hype pour entrer plus profondément dans nos cultures afin de rendre nos achats plus durables. Les politiques d’achats doivent se faire beaucoup plus réfléchies, en s’assurant de la disponibilité locale du produit, du fait qu’il soit bien dans la saison. Cette contrainte peut sembler très difficile au début , elle implique de changer son mode de pensée, et de cuisiner ce que l’on trouve plutôt que chercher ce que l’on veut cuisiner. Elle s’accompagne cependant d’une reconnexion beaucoup plus directe à son environnement, comme on peut le faire quand on a un potager.
Une dernière limite à laquelle je n’ai pas encore de réponse satisfaisante, si ce n’est l’usage de plateformes de qualité telles que Topino (où je suis client), c’est le coût environnemental de l’achat local. Mes truites locales préférées sont à 80km de la maison, mon gibier à 50km, mon maraîcher à 15. Définir des limites à ce qu’on appelle local est indispensable, privilégier les convergences des trajets également. Le local doit absolument intégrer la mise en commun et le dialogue, et en cela la technologie peut être d’une aide conséquente.
Le produit…. Tout le produit ?
Acheter le poireau du maraîcher local ou l’entrecôte de chez Dierendonck est certes un vrai pas en avant. La connaissance des producteurs une nécessité réelle pour les Chefs et amateurs, mais ne faut-il pas aller voir plus loin ?
Après de longues recherches sur le terrain, je peux maintenant affirmer qu’un bœuf n’est pas fait à 80 pourcents de côtes à l’os et filet pur, qu’un agneau n’est pas que gigot, souris et carré, qu’un poulet n’est pas que filets. Réfléchir l’aliment dans sa globalité est essentiel.
Il faut savoir que sur un bœuf par exemple, plus ou moins 2/5ème de la masse est composée de viande, et que parmi cette viande, la moitié seulement est destinée à de la cuisson rapide (viandes à poêler), et seulement une partie de ce cinquième est en fait de la côte ou de l’entrecôte. Valoriser tout le reste de la bête est une nécessité absolue.
Il en va de même, et pire encore, pour les légumes que nous utilisons. La force de l’habitude certainement. Épluchures diverses, tiges ou fânes finissent presqu’invariablement à la poubelle (ou au compost si on a de la chance), quand ce ne sont pas les légumes entiers qui sont jetés suite à une non-utilisation dans le temps optimum…. Alors qu’ils sont encore bien souvent comestibles, du moins dans certaines conditions.
On a bon pour pas un rond
Si la mode de l’ail des ours et des cèpes ne semble pas faiblir, la connaissance de la cueillette est encore très superficielle aujourd’hui. Les jardins, sous-bois et champs recèlent de nourritures insoupçonnées, qui avec précaution et respect (je m’inquiète un peu de la récolte de plus en plus habituelle des bulbes d’ail des ours, qui est certes un aliment très local mais non renouvelable, au contraire des feuilles et fleurs de ladite plante) peuvent garnir les assiettes les plus simples aux plus élaborées.
Parler est également primordial : combien d’arbres fruitiers perdent leur récolte parce que le propriétaire et l’amateur ne se sont juste pas rencontrés ? Des tonnes. Reconnecter les citoyens permettrait à nos campagnes d’être utilisées au mieux, sans épuiser aucunement les ressources naturelles ni les portefeuilles.
Slow cooking
Le seul choix des produits n’est pas suffisant à définir une manière durable de cuisiner, la manière de cuire également. On n’y pense pas assez mais cuire sous-vide implique des déchets plastique, blanchir un légume en changeant l’eau à chaque fois conduit à une grosse consommation d’énergie et de liquide. Évidemment cuisiner implique plus ou moins à chaque fois des cuissons et de l’utilisation de l’or bleu, mais tenter de rationnaliser le tout est une nécessité. Il y a peu, Sang-Hoon Degeimbre, le génial Chef de l’Air du Temps, a créé une recette de homard qui n’utilisait que très peu d’eau, dans cette optique de cuisine plus économe. Quel exemple de contrainte qui conduit à la créativité !
Mais les moindres petits gestes sont à penser, comme utiliser les meilleurs moyens de cuisson de l’eau, utiliser des couvercles quand c’est possible, de coupler autant que possible les cuissons pour utiliser les moyens au mieux.
De l’échelle des valeurs à celle des saveurs
Les pistes sont nombreuses pour une Cuisine qui par sa diversité et saisonnalité respecte au mieux la nature. Mais il faut bien constater qu’il est rare de voir de la chicorée dans nos assiettes, que les bouillons aux épluchures sont presque réservés aux plus bobos d’entre nous, que l’agneau au restaurant se fait toujours sous la forme de selle ou de carré.
Je suis convaincu qu’il y a 2 freins au développement de ces comportements vertueux : la méconnaissance des techniques et une échelle des saveurs qui se confond avec celle des valeurs. Comme s’il était plus gratifiant de manger le filet mignon que l’échine de porc. Il est temps de refaire avant tout confiance à son palais, de goûter avant de juger. L’échine est magnifique, les carottes peuvent avoir un goût aussi profond que l’asperge, un légume flétri a encore de l’avenir en bouillon.
Cuisine durable : Cooking, thinking, upcycling !
Pour en arriver à dépasser ces freins, il est nécessaire de montrer la noblesse des choses. Travailler les bas morceaux dans les plus belles Maisons fera comprendre aux gens qu’un noble cochon longuement cuit aura une saveur folle, qu’il n’y a rien d’anti-gastronomique à utiliser des épluchures et à rendre l’exceptionnel au commun.
Avoir comme objectif de valoriser ce que l’on jette en cuisine demande évidemment beaucoup de réflexion au début, de l’apprentissage aussi. Mais la Cuisine inventive c’est aussi et surtout cela. C’est nourrir les gens, physiquement et philosophiquement.
Peu importe le style de Cuisine, peu importe votre temps et votre talent, pensez toujours avant de cuisiner et/ou commander. Est-il vraiment nécessaire ne pas utiliser tout un légume ? De choisir un morceau réputé noble ? de jeter de la nourriture à la poubelle ? Que faire pour réduire l’énergie utilisée? Se poser les questions sur sa cuisine durable, c’est déjà un peu y répondre.